Les robots de l’extrême : au cœur d’une alvéole de stockage de Cigéo
« LEON », « ROCO », « UMA », « AMBRE »… Il ne s’agit pas d’une liste de prénoms, mais de quelques-uns des robots testés par l’Andra dans le cadre d’une campagne d’essais grandeur réelle réalisés durant l’année 2023. Leur mission : inspecter l’état des alvéoles de stockage et des colis de déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue (MA-VL) de Cigéo. Et intervenir pour corriger d’éventuels défauts.
Si l’Andra étudie depuis plus de 30 ans différentes options techniques pour le stockage géologique de déchets radioactifs dans Cigéo, une constante demeure : la nécessité d’assurer la surveillance régulière des installations et des colis de déchets radioactifs dans leurs alvéoles de stockage, voire de les retirer ponctuellement ou de manière définitive dans le cadre de la réversibilité de Cigéo. La tâche est ambitieuse, notamment pour le stockage des déchets radioactifs MA-VL. Selon les différentes familles de colis de stockage MA-VL, chaque alvéole pourrait en accueillir plus de 1 000, stockés sur plusieurs rangées et niveaux, avec un espacement limité entre eux : environ 10 centimètres. Difficile, dans ces conditions, d’envisager des solutions de surveillance et d’intervention !
C’est pourtant le défi qu’a relevé Bouygues Construction Expertises Nucléaires. Cette filiale de Bouygues Construction, spécialisée dans les infrastructures et équipements nucléaires particuliers, a été retenue par l’Andra pour concevoir, réaliser et tester des engins capables d’inspecter les alvéoles et les colis de stockage, mais également de mener des actions correctives si nécessaire. La société opère dans le cadre d’un groupement avec NFM Systems, spécialisé dans les systèmes de levage et de manutention complexes et dans les solutions de systèmes intégrés pour divers secteurs (nucléaire, défense, etc.).
Cette dernière entreprise expérimente en effet, en parallèle, un démonstrateur de pont stockeur pour les colis MA-VL, dont les rails permettront aux robots d’inspection et d’intervention de se déplacer dans les alvéoles. « Nous avons imaginé un chariot installé sur la voie de roulement du pont stockeur, auquel sont arrimés différents engins et outils selon le type d’inspection ou d’intervention à effectuer », résume Élodie Muller, ingénieure mécanique et cheffe de projet chez Bouygues Construction Expertises Nucléaires.
Les yeux et les bras de l’Andra
Une flotte de robots constituera les yeux et les bras de l’Andra dans les alvéoles de stockage MA-VL de Cigéo : un chariot de transport et un chariot de secours, deux outils d’inspection, ainsi que sept outils d’intervention. Tous sont en cours d’essais dans la reproduction schématique grandeur réelle d’une alvéole de stockage sur un ancien site industriel dans l’est de la France.
La campagne mêle ainsi intimement les essais du pont stockeur et des robots. Les colis de stockage MA-VL sont simulés à l’aide de blocs de béton de géométrie, masse et dimension représentative, soit environ 1,5 mètre de long par 1,5 mètre de large et 2 mètres de haut, empilés en trois rangées sur trois couches. L’objectif des essais est de vérifier la capacité des robots à évoluer dans cet environnement contraint. « Les inspections sont nécessaires dans deux cas en fonctionnement normal, explique Yves Lorillon, chargé d’affaires à l’Andra, pendant le remplissage de l’alvéole de stockage, puis pendant les phases de surveillance pour contrôler régulièrement les installations (génie civil, voie de roulement du pont stockeur, etc.) et les colis. Les robots peuvent également être engagés dans un troisième cas : une situation post-incident, et ce afin de réaliser une cartographie interne de l’alvéole ou d’une zone en fonction de l’événement. »
Chaque engin a une fonction bien définie. Le chariot automoteur permet par exemple le transport et l’alimentation des autres outils et l’inspection de l’ « oreille » de l’alvéole, c’est-à-dire la zone aménagée de chaque côté de la paroi où sont installés les rails du pont stockeur.
Un outil unique au monde
Côté inspection, l’outil « POUTRE », qui se déplace à cheval sur les deux rails, sert à l’inspection globale de l’environnement via une caméra, des lasers et un scan 3D intégrés. L’outil « RIDEAU », quant à lui, se déplace sur un seul rail et permet des mesures plus fines par laser (avec une précision de l’ordre du millimètre), caméra, sonde de température ou encore sonde pour mesurer la radioactivité. Unique au monde, il a fait l’objet de trois brevets déposés par l’Andra : un pour l’outil global, un autre pour la tête instrumentée, capable de plonger entre deux colis, et un troisième pour la chaîne qui lui permet d’évoluer sur toute la surface d’un ou plusieurs colis à inspecter.
Quant aux outils d’intervention, trois d’entre eux sont également brevetés par l’Andra. Il s’agit du robot « UMA », capable d’usiner une « marche » créée par deux rails disjoints, de « AMBRE », qui permet de réparer un défaut dans la voie de roulement par injection de résine, et de « MENTHE », qui permet d’installer des diabolos de guidage pour le câble d’alimentation du pont stockeur, dans le cadre d’un mode de secours. Le caractère innovant de ces équipements repose sur la création d’outillages sur mesure, adaptés à la géométrie de l’alvéole de stockage et permettant une maintenance sûre en téléopéré. « Nous avons par exemple employé du matériel standard dont nous avons détourné l’usage, comme des outillages électroportatifs du type ponceuse à bande ou brosseuse », dévoile Élodie Muller.
Anticiper les imprévus
Au cours des essais, toutes sortes de situations dégradées ont été imaginées par l’Andra et Bouygues Construction Expertises Nucléaires : colis mal positionnés, chute d’un morceau de béton, dégradation de l’état ou de la pente du chemin de roulement, etc. Enfin, si ces robots ont été conçus pour des colis de stockage de forme cubique, la campagne d’essais a été aussi l’occasion d’évaluer dans quelle mesure ils peuvent être employés pour inspecter des colis de forme cylindrique, comme les colis en stockage direct.
La campagne d’essais s’est terminée en décembre 2023 et a été suivie d’une visite de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). « Ces premiers prototypes seront amenés à évoluer plus ou moins significativement d’ici à la mise en service de Cigéo. Leur nombre pourra également évoluer : certains disparaîtront peut-être, d’autres feront probablement leur apparition, tandis que plusieurs pourraient éventuellement être mutualisés. Dans tous les cas, de nombreux développements restent encore à faire », conclut Yves Lorillon.