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Concours d'écriture de science fiction sur les déchets radioactifs : 3 questions à Claude Ecken

Et si, en imaginant le futur de nos sociétés, la science-fiction était un moyen efficace de questionner notre présent ? C’est en tout cas la conviction de Claude Ecken. L’écrivain, auteur d’une vingtaine d’ouvrages de science-fiction, Grand Prix de l’imaginaire 2006, est le parrain du concours de nouvelles organisé par l’Andra et le magazine Usbek & Rica. Il revient sur l’intérêt de solliciter les pouvoirs de l’imagination.

Les déchets radioactifs ne sont pas de la science-fiction. Pourtant, leur durée de vie – plusieurs millénaires pour les plus radioactifs – incite à se projeter dans un avenir lointain. Cette question est au cœur du concours d’écriture initié cette année par l’Andra en partenariat avec Usbek & Rica. Avant d’animer le premier atelier du concours qui s'est tenu le 31 octobre dans le cadre des Utopiales à Nantes (salon international de science-fiction), Claude Ecken s’est prêté à l’exercice. Dans sa nouvelle « Les Gardiens de l’Ardent », il met en scène une milice secrète chargée de protéger un site mystérieux des intrusions malveillantes…

 

Le sujet des déchets radioactifs vous a-t-il inspiré ?

En tant qu’écrivain, qui plus est de science-fiction, tous les sujets de société m’inspirent. L’écrivain est un témoin de son temps, et le meilleur moyen de parler du présent, pour moi c’est d’en parler au futur. Dans le sujet des déchets radioactifs, il y a une dualité fondamentale : pour éviter aux générations futures d’être exposées à une radioactivité dont ils pourraient tout ignorer, faut-il taire l’existence des centres où ils sont stockés ou entretenir leur mémoire ? C’est ce qui m’a plus particulièrement intéressé. Mais il y a mille façons d’aborder ce sujet… Et si nous choisissions de ne pas enfouir les déchets radioactifs, que se passerait-il ? Quelles seraient les conséquences ? Mettre en branle son imaginaire est toujours un défi excitant, mais c’est d’abord l’opportunité de se poser les questions qu’on ne se pose pas, pas assez, pas suffisamment.

 

Que peut bien apporter la science-fiction à un sujet comme les déchets radioactifs ?

La science-fiction est un outil puissant de réflexion. Elle agit comme un miroir déformant qui nous permet d’observer le monde d’un autre point de vue : celui de l’extraterrestre ou du « naïf », par exemple. À partir du moment où nous nous exportons loin dans le temps et dans l’espace, nous le regardons différemment. C’est cette distance qui est intéressante parce qu’elle ouvre la possibilité d’une réflexion sur les implications futures de nos choix présents, qu’elles soient sociales, politiques, ou philosophiques. Dans le cas des déchets nucléaires, nous sommes dans un temps extrêmement long, qui confine à l'inimaginable, puisqu'elle excède la durée des civilisations qui se sont succédé jusqu'à nos jours.

Il ne s'agit pas de se positionner selon un axe de pro ou d'antinucléaire. Les déchets sont là. Quand bien même l'arrêt brutal de l'exploitation de l'énergie serait décrété, ils seront toujours là.

Retarder les prises de décision, c'est augmenter les risques. C'est objectivement qu'il faut évaluer les solutions proposées, et il n'y a pas de meilleur moyen que de passer par une mise en situation, c'est-à-dire par le récit.

 

La science-fiction pourrait-elle nous aider à maîtriser le futur ?

Le futur est par essence impossible à connaître ! Un même auteur pourra écrire un récit d’anticipation où l’humanité disparaît dans une catastrophe et un autre où, au contraire, elle y survit. La question n’est pas de savoir si cela va se produire ou si l’auteur avait raison, mais d’examiner comment il a exercé son esprit critique. Qu’est-ce que telle ou telle option suppose comme conditions et comme conséquences ?

Souvent, une découverte scientifique débouche sur une application, mais cette utilisation n'explore pas tout le spectre des utilisations possibles… Il manque, pour spéculer, une histoire, autrement dit un contexte qui pourrait fournir un champ d'application possible. En faisant vivre des personnages, avec des trajectoires différentes, des motivations et des intentions variées, on peut évaluer un certain nombre de contraintes qui n'étaient pas perceptibles, et par le truchement de la science-fiction, les anticiper. La science-fiction propose des modélisations qui tiennent compte du facteur humain.

Je vous donne un exemple parmi d’autres : lors de l'explosion de la bombe nucléaire à Hiroshima, l'écrivain de science-fiction Robert A. Heinlein comprit très vite que la guerre ne durerait pas. Engagé volontaire, il adressa au président des États-Unis sa démission et un mémoire sur la conduite à tenir pour l'avenir : aucune nation ne devait être seule à posséder un tel pouvoir de destruction. Personne n'avait encore spéculé sur tout ceci au lendemain du 6 août 1945. Robert A. Heinlein aurait-il été en mesure de le faire s’il n’avait pas déjà écrit des récits sur la question, lui permettant de peser le pour et le contre avant tout le monde ? La science-fiction comme outil de réflexion donc…

 

 

Claude Ecken est né en 1954. Il s’intéresse très jeune au fantastique, à la science-fiction, et à la bande dessinée. D’abord critique, il publie plusieurs nouvelles avant que son premier roman, L’Abbé X édité en 1984 ne rencontre le succès. Pionnier du « cyberpunk », créateur du festival de BD d’Aix-en-Provence, il est aussi critique littéraire, anthologiste et anime des ateliers d’écriture notamment pour les publics scolaires.