Des signes et des lettres pour avertir nos descendants
Une résidence inédite, lancée par l’Andra et le Signe, centre national d’art graphique de Chaumont, a permis à deux spécialistes du design de réfléchir sur les façons de communiquer la dangerosité des déchets radioactifs à l’échelle plurimillénaire.
Dans le cadre de son programme « Mémoire pour les générations futures », l’Andra a choisi de collaborer pour la première fois avec le Signe, un lieu dédié à la promotion des arts graphiques. À l’été 2019, ils ont ainsi lancé un appel à résidence auprès des designers graphiques, des chercheurs en sciences du langage et de la communication ou des théoriciens du graphisme pour « réfléchir et inventer une signalétique portant sur la nocivité des déchets radioactifs à l’échelle plurimillénaire ». Objectif : informer les générations futures de l’existence des centres de stockage et de ce qu’ils contiennent.
Des recherches en duo
Un appel remporté par Sébastien Noguera, designer graphique, fondateur du studio Château Fort Fort, enseignant à l’école d’art de Bellecour à Lyon, et Charles Gautier, chercheur en sciences du langage et enseignant à l’ESA des Pyrénées. « On ne se connaissait pas, mais ce qui nous a tous deux motivés, c’était de s’interroger sur l’existence temporelle des signes et des mots, confie Sébastien. Quand on se penche sur la manière dont les langues, les savoirs et les cultures évoluent, on s’aperçoit rapidement que certains peuvent se perdre, et d’autres être interprétés différemment. Mais le temps des déchets radioactifs sera millénaire ! La problématique est centrale et mondiale. Il nous semblait donc nécessaire de contribuer à la manière de communiquer leur dangerosité pour les siècles à venir. » Pendant cinq mois, entre octobre 2019 et mars 2020, le praticien et le théoricien ont donc confronté leurs idées et leurs recherches. « Le sujet étant très vaste, on a fait feu de tout bois. Nous avons passé beaucoup de temps à défricher le terrain », raconte Charles Gautier. Les deux trentenaires ont ainsi établi un ensemble de documents de référence sur les langues, les signes et leur transmission à travers les âges. « Avant d’inventer les termes et formes pour signaler la nocivité des déchets, nous voulions voir à travers l’histoire ce qui a marché et ce qui a moins marché : par exemple, pourquoi la diffusion de l’Espéranto a globalement échoué, ou pourquoi le code maritime international est largement employé », poursuit Charles Gautier.
« Avant d’inventer les termes et formes pour signaler la nocivité des déchets, nous voulions voir à travers l’histoire ce qui a marché et ce qui a moins marché. »
Multiplier les possibles
Ces recherches de quelques mois leur ont permis de tirer des apprentissages précieux pour ensuite tenter d’établir des messages plurimillénaires. « Selon nous, il faudra donc cumuler, c’est-àdire utiliser plusieurs signes et lettres existants, ainsi que des pasigraphies, des systèmes d’écriture utilisant des idéogrammes* compréhensibles de tous, précise Sébastien Noguera. Cela accroîtra les chances que le message soit compris dans le temps. Champollion par exemple n’aurait jamais pu déchiffrer les hiéroglyphes si, sur la fameuse pierre de Rosette, ils n’avaient pas été traduits dans deux autres langues dont le grec. » Bientôt, ils exposeront les fruits de leurs recherches et leurs premières conclusions à Chaumont dans les locaux du Signe. Mais, à leurs yeux, il reste encore beaucoup à faire. « Pour concrétiser nos travaux et commencer à créer une signalétique plurimillénaire, il faudra fonctionner par étapes et surtout entrer dans une logique d’échange à l’international, estime Charles Gautier. Car c’est très compliqué d’espérer créer un langage international uniquement depuis la France. »